« Ici Anaïs, cheffe de bord du Cahier d’exploration polaire et poétique. La température extérieure est de -12,2°C, ce qui ici est un peu chaud pour la saison. […] En décembre 2022, j’ai entrepris un voyage avec la Compagnie Discrète et, parce qu’il risque d’être beau, j’aimerais vous le raconter. Objectif : une nouvelle création en novembre 2023. Accrochez-vous à vos moufles et bonnets ! Pour vous, je vais prendre tous les risques et me rendre au plus près de l’IJSBERG... »
C’est une belle journée de fin mai. Je décide donc, tout naturellement, d’aller la passer dans une grande salle sombre et froide dans le grand nord, à Rouziers-de-Touraine. Dehors, le soleil est haut dans le ciel qui lui-même est bleu. L’herbe s’épanouit tout autour dans une jolie gamme de verts et j’aperçois même des coquelicots dansant au rythme du vent. Bref, tout est à sa place et moi aussi. À l’image de cette mésange qui a fait son nid dans la petite boîte à l’entrée de la salle des Quatre Vents, je fais mon nid pour la journée au sein de cet espace perdu au milieu des champs. Pour continuer à suivre l’évolution d’IJSBERG, je troque avec joie le soleil contre la nuit, et les petits oiseaux contre Adrien, Jules et Jean-Baptiste.
AH ! C’est ici qu’on sait ! C’est à ce moment précis que l’on voit qui a bien suivi l’histoire depuis le début et qui a pris tout cela un peu trop à la légère. Je vous laisse un petit temps pour relire vos notes. […] Eh oui, bien joué ! Je n’ai pas cité Alexandre. Or, comme chacun sait, il est un personnage essentiel de l’histoire. Mais bon, aujourd’hui il a une plutôt bonne excuse pour sécher le mime : il est devenu papa. Rien que ça. Et si on compte Ijsberg qui arrivera en novembre, ça fera deux naissances en une année… Pas mal !
Bon, revenons à cette grande salle aux rideaux fermés. On n’y voit pas grand-chose parce que la semaine de résidence est réservée aux aspects techniques et pas au jeu. (Notez ici l’organisation de la Compagnie Discrète qui avait tout à fait prévu le coup.) Ce matin quand j’arrive, pas de mime donc, mais plutôt du travail derrière les ordinateurs : Jules bidouille le son de la glace de Suède avec ses écouteurs (et un Kinder Bueno), Jean-Baptiste teste les lumières et nous fait des jour-nuit-jour-nuit-jour-nuit tandis qu’Adrien peaufine la vidéo. C’est ça aussi la création d’un spectacle… Avant les paillettes, la joie d’être sur scène, les frissons et les applaudissements, il y a de longues heures de travail et de réflexion, des doutes et sûrement quelques moments un peu fastidieux. Aujourd’hui particulièrement, il y a aussi les nœuds au cerveau que l’équipe se fait à propos d’un aspect qui passera totalement inaperçu le jour de la représentation, mais qui pose un vrai problème technique pour l’instant. C’est la question du positionnement du vidéoprojecteur et de la façon dont la vidéo est projetée sur les différents supports du décor. Ça ne fonctionne pas comme il faut et Adrien est un peu dépité. Il fait les cent pas sur la neige. Va-t-il falloir racheter un VP hors de prix pour avoir le rendu souhaité ? Ou bien se résigner à enlever une partie de la vidéo mais qui-rend-tellement-bien-que-ça-ferait-mal-au-cœur ? (Spoiler alert : ce ne sera ni l’un ni l’autre.) Bien sûr, il y a toujours des rebondissements lors d’une création, mais en tout cas ce jour-là lorsque je m’en vais, je quitte une équipe joyeuse qui a su trouver une solution sans (presque) aucun compromis. Et je peux vous le dire parce que je l’ai vu de mes yeux vu, ça va être beau.
J’aime imaginer que, lorsque le public découvrira le cadeau qui lui a été préparé avec un si grand soin, il ne se doutera pas une seule seconde de toutes ces problématiques traversées, ni n’aura en tête toutes ces heures de travail. Il ne verra que le résultat, et c’est justement le souhait des Discrets : le faire plonger la tête la première dans une belle histoire, racontée avec humour, douceur et poésie. Tel un iceberg, le laisser dériver avec plaisir au gré de son imagination dans un monde fabriqué avec talent, patience et précision.
La création a lieu dans six mois. C’est loin et proche tout à la fois. Ce qui est sûr, c’est que toute la matière a été créée : le décor, la vidéo, la musique, les différentes scènes… Tous les éléments sont là. Tels des chefs d’orchestre, il ne leur reste « plus qu’à » tout assembler, tout faire jouer ensemble le plus harmonieusement possible. Affiner le son, trouver la bonne lumière, créer les transitions vidéo ; puis jouer, jouer et rejouer pour que l’histoire rebondisse sur nos cœurs comme les rayons du soleil sur le coquelicot. Anaïs, cheffe de bord du Cahier d’exploration polaire et poétique