PAGE 1 - Premier contact avec l'IJSBERG - [Décembre 2022]
« Ici Anaïs, cheffe de bord du Cahier d’exploration polaire et poétique. La température extérieure est de -12,2°C, ce qui ici est un peu chaud pour la saison. […] En décembre 2022, j’ai entrepris un voyage avec la Compagnie Discrète et, parce qu’il risque d’être beau, j’aimerais vous le raconter. Objectif : une nouvelle création en novembre 2023. Accrochez-vous à vos moufles et bonnets ! Pour vous, je vais prendre tous les risques et me rendre au plus près de l’IJSBERG... »
10h24. Encore emmitouflée au fond de mon écharpe, je m’engouffre dans la salle. La première chose que j’aperçois ? Des chaussettes. La première chose que j’entends ? « Blblbl krrr chtoung » (La retranscription est approximative, merci de votre compréhension). La salle n’est pas éclairée. Seule une lumière jaune sombre m’indique le chemin de la scène et me révèle les chaussettes puis le visage d’Adrien. C’est bon, je suis au bon endroit. Je me fige dans l’obscurité et observe. Je crois qu’il est en train de… découper un corps. Oui. Avec une scie… Oui, c’est bien ça, ok. Ambiance ce matin à Rouziers ! Un peu plus tard, j’apprends qu’Adrien et Alexandre font une improvisation chacun leur tour tous les matins lors de chaque résidence! Parfois même, ils regardent un dessin animé avant pour bien se mettre en condition. Ensuite un thème et un objet sont proposés par l’autre, puis les idées fusent et l’impro commence. Pour Adrien, « trail en montagne + scie » étaient au programme de ce matin. (J’ai d’ailleurs une statistique tout à fait scientifique et passionnante à vous partager à ce propos. En moyenne, 84% des personnages d’une impro meurent à la fin.) Et pour Alexandre ? Ce sera « fonds marins + balle rebondissante » ! Je ris de cette histoire drôle et de sa chute imaginée si vite, et je reste coite de leur talent (ainsi que du mot coite)… Je suis ébahie par ces histoires si imagées qui arrivent jusqu’à moi simplement grâce à des bras qui ondulent, des mouvements rapides et lents, des bruitages, des gromelots et des grands yeux ronds. Moi qui aime pourtant beaucoup les mots, savoir que leur absence peut nous emmener si loin et provoquer autant d’émotions me remplit de joie ! Pas besoin de décor, pas besoin de costume, pas besoin de texte. Je suis fascinée par cette simplicité apparente. J’accroche simplement mes yeux à leurs gestes et m’envole au-dessus des nuages, me balade au milieu des poissons, rencontre un lapin agent secret, regarde Prométhée se débattre avec une pinata… L’imagination n’a pas de limite. Bon, c’est pas tout ça mais la fin de matinée est réservée au travail à la table alors il est temps de s’y mettre. C’est sérieux le mime. D’ailleurs, Florian, comédien et ami du conservatoire, est là aujourd’hui pour leur apporter son regard extérieur. La création d’Ijsberg aura lieu dans un an alors il est encore temps d’écrire, de structurer, d’affiner… Entre deux blagues, l’ambiance est studieuse. Alexandre et Adrien présentent les personnages aux contours encore flous mais déjà bien vivants dans leur imaginaire. Ils parlent du déroulé, évoquent la structure et se demandent comment retranscrire telle chose sur scène, sans l’aide des mots qui sont quand même parfois bien pratiques. Ils savent quels messages ils veulent faire passer mais se questionnent : Comment traiter correctement ce sujet avec les contraintes du cahier des charges ? Comment faire le pas de côté nécessaire pour ne pas tomber dans le déjà vu ? Et comment trouver la nuance essentielle ? Les difficultés à dépasser sont encore nombreuses mais quel plaisir de travailler ensemble pour trouver les solutions. Au théâtre oui, bien sûr, mais pas seulement. Les niveaux de lecture se multiplient. Et petit à petit, le spectacle prend vie. Dans la création à naître, Adrien et Alexandre ont imaginé une Terre fatiguée. Une Terre qui a décidé de prendre un peu de repos. Et c’est à travers la structure universelle du récit initiatique qu’ils ont fait le choix de nous parler d’un sujet qui leur tient à cœur : celui de l’urgence climatique. Alors oui, lors de cette résidence, j’ai entendu des secrets s’échapper de la glace qui craque. Oui je sais des choses, mais ne me demandez rien ! Je serai muette comme une mime pour que la surprise soit la plus belle possible. Je peux simplement vous dire que les Discrets ont commencé à tricoter un IJSBERG avec deux fils bien solides et harmonieusement entrelacés. Au milieu de cet hiver pas comme les autres, l’humour et la poésie nous tiendront chaud une fois de plus, j’en suis sûre. Anaïs, cheffe de bord du Cahier d’exploration polaire et poétique